Troisième vague féministe

La troisième vague féministe renvoie à un large ensemble de revendications politiques et de pratiques artistiques, mises en avant à partir des années 1980 – aux États-Unis en premier lieu – par des militantes féministes issues de groupes minoritaires...



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Féminisme

Manifestation à Paris pour les droits des femmes (novembre 1995)

La troisième vague féministe renvoie à un large ensemble de revendications politiques et de pratiques artistiques, mises en avant à partir des années 1980 – aux États-Unis en premier lieu – par des militantes féministes issues de groupes minoritaires et des minorités ethno-culturelles surtout.

Présentation

Le terme "troisième vague féministe" n'est utilisé aux États-Unis qu'à partir des années 1990, pour qualifier une nouvelle génération de féministes qui intègrent à leurs luttes des enjeux et des pratiques qui se situent en rupture – et d'autres fois en continuité – avec ceux de la génération précédente, issue de la "deuxième vague". Entre autres différences, l'importance accordé à la diversité au sein des groupes, surtout par une meilleure visibilité occupée par les femmes reconnues comme doublement marginalisées ou stigmatisées – femmes de couleurs, autochtones, lesbiennes, prostituées, handicapées, ou encore les femmes grosses, pour ne nommer que ces groupes.

La diversité se traduit aussi sur le plan des tactiques et des modes d'expressions. Ainsi, le militantisme au quotidien, par les choix de consommation surtout, est perçu comme une forme d'engagement aussi valable que d'autres formes plus collectives, par exemple les manifestations politiques dans la rue. Par la suite, des champs nouveaux sont investis massivement par ces nouvelles féministes – l'espace médiatique surtout, à travers des actions dirigées contre la publicité –, pensons entre autres au groupe new-yorkais Guerrilla Girls, ou encore à travers la production d'un fanzine ou d'un blogue sur Internet.

Cette volonté de se réapproprier des espaces – marqués habituellement par les hommes – est spécifiquement éloquente à travers l'émergence de nouveaux mouvements culturels, le Riot grrrl par exemple. Associé à la scène musicale d'Olympia, une ville de l'État de Washington, ce mouvement empruntant au rock et au punk s'est ainsi étendu au fil des années 1990 à l'Occident au complet, et ce, sans que son développement n'ait jamais passé par les réseaux respectant les traditions de l'industrie musical. En parallèle au Riot Grrrl, des festivals nommés LadyFest ont essaimé légèrement partout en Occident, dans le dessein aussi de donner un espace autonome où les femmes artistes pourraient performer musicalement ou d'autres manières, sans devoir faire de compromis artistique ou idéologique à l'industrie du show-business, et sans devoir subir le machisme attribué à certains groupes rock et punk.

Au niveau théorique – et c'est là une des grandes différences avec les deux premières vagues –, la nouvelle vague féministe ne s'est pas constituée en un mouvement homogène et cohérent, pourvue d'une ligne idéologique clair. D'où la difficulté – ou alors l'impossibilité – d'en faire un portrait bien défini et fixe dans le temps. Certaines voix réfutent même l'existence d'une dite nouvelle vague, et parlent plutôt de la "deuxième vague, épisode 2".

Origine épistémologique

La première vague

En 1983, l'américaine Elizabeth Sarah popularise à travers son essai, Reassessments of «First Wave», la métaphore de la vague pour qualifier les phases successives du féminisme moderne. C'est ainsi que le combat des femmes en faveur du droit de vote – aussi nommé le mouvement des suffragettes – qui s'active à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, deviendra la première vague du féminisme. Son objectif large était de réformer les institutions, de sorte que les hommes et les femmes deviennent égaux devant la loi.

La seconde vague

À partir du milieu des années 1960 et pendant les années 1970, un nouveau féminisme fait surface, et rejette cet objectif d'égalité dans le dispositif. Pour les féministes de cette deuxième vague, aucune égalité entre les sexes ne peut être obtenue à l'intérieur du présent dispositif "patriarcal", sinon quelques compromis temporaires qui seraient perpétuellement menacés. Pour la majorité, la solution est par conséquent de renverser ce dispositif, le patriarcat, et d'instaurer de nouvelles valeurs et de nouveaux rapports entre les sexes. L'heure est à la révolution, et les différentes appellations utilisées pour nommer le renouveau féministe y font écho : féminisme radical, mouvement de libération des femmes, néo-féminisme, féminisme marxiste, etc.

Gestation de la troisième vague

La première à parler d'une troisième vague est l'américaine Rebecca Walker en 1992. Dans un article intitulé Becoming the Third Wave, elle fait remonter l'émergence de cette nouvelle génération au début des années 1980, lorsque des militantes noires encore plus nombreuses – Gloria Anzaldúa, bell hooks (sans majuscule), Chela Sandoval, Cherrie Moraga et Audre Lorde entre autres – s'élèvent contre le caractère blanc et bourgeois du féminisme radical.

S'interrogeant elles aussi sur la date de naissance de la troisième vague, certaines penseures – «influencées par le caractère fermement mondial du féminisme en ce moment, parlent plutôt de 1985, qui mettait fin à la décennie des femmes décrétée par l'ONU et qui marquait la minorisation des femmes blanches occidentales dans les rassemblements internationaux, surtout à Nairobi» (Dumont : 2005), note l'auteure Micheline Dumont dans un recueil de textes publié au Québec.

Dans la francophonie

Dialogues sur la troisième vague féministe, ce même recueil paru en 2005, forme d'autre part un des premiers ouvrages en français à s'intéresser particulièrement au concept de troisième vague. L'appellation tarde en effet à s'implanter dans le vocabulaire courant des féministes francophones, dont plusieurs préféraient jusqu'à ici l'utilisation du terme "jeunes féministes" pour décrire la nouvelle mouvance. Autre manifestation de ce décalage, les œuvres-phares de la troisième vague sont rarement traduites en français, ou sinon elles le sont avec un délai d'une dizaine d'années. Ainsi, Gender Trouble – le célèbre essai de la féministe lesbienne Judith Butler, sorti aux États-Unis en 1990 –, est paru en français en 2005.

Aspirations et objectifs

Selon l'ouvrage européen Le siècle des féminismes, l'emploi du mot "vague" – pour décrire l'évolution du féminisme au fil du XXe siècle – reflète «une métaphore à laquelle correspondent chaque fois une aspiration, des objectifs nouveaux et des pratiques spécifiques» (Gudin : 2004). Suivant ce postulat, quelles aspirations et quels objectifs seraient propres à cette nouvelle pensée féministe?

Un contexte différent

Un des auteurs qui ont le plus rédigé sur la troisième vague, Barbara Findlen, décrit en ces termes la conjoncture différente dont les génération X et génération Y sont issues :

«Cette génération a été modelée par des événements et circonstances uniques, propres à notre époque : le VIH/sida; les assauts contre le contrôle des naissances; le recul de l'action positive (affirmative action) ; la visibilité croissante des diverses formes de famille; l'avancée des études féministes; la montée des technologies, de la consommation et des médias de masse; le multiculturalisme; l'affirmation d'une conscience planétaire; l'ascension du mouvement lesbien/gay/bi/trans; une meilleure connaissance de la sexualité; et finalement le féminisme, qui était déjà dans notre enfance un force social majeur. Toutes ces réalités ont alimenté et constitué nos approches du féminisme.» (Findlen : 2001)

Le cadre de vie dans lequel ont grandi les filles nées après le baby-boom devient c'est à dire plus complexe et éclaté que ce dernier de leurs prédécesseurs. Sur le plan sociologique, il ne saurait plus exister une grille d'analyse capable d'englober à elle seule et d'expliquer à elle seule l'ensemble des phénomènes qui affectent l'ensemble des personnes – hommes ou femmes–, comme s'y sont essayées les grandes idéologies universelles au XXe siècle, l'idéologie marxiste surtout. Dans un tel contexte, la catégorie universelle «femme» elle-même perdrait ainsi une certaine acuité pour expliquer l'oppression vécue par les femmes, ou du moins elle ne serait plus l'unique paramètre à considérer, selon les penseurs de la troisième vague.

Renouveler les aspirations et objectifs

Un des grands apports de la nouvelle pensée féministe est précisément de promouvoir l'analyse intersectionnelle, qui prend en compte les multiples catégories et identités qui peuvent stigmatiser une personne. Fervent défenseur de l'intersectionnalité, l'Institut canadien de recherches sur les femmes rédigé dans une publication :

«Dans la totalité, la seconde vague féministe a laissé de côté énormément de femmes. Durant toute cette période, les mouvements de femmes minoritaires ont contesté l'hypothèse selon laquelle les femmes blanches de classe moyenne pouvaient prétendre représenter l'ensemble des femmes, tandis qu'un grand nombre ne parvenaient pas à s'identifier à cette définition homogène. (... ) Selon ces féministes, la race, l'ethnicité, les sexualités, la classe sociale et le pays d'origine sont des facteurs tout aussi importants, sinon plus importants, pour déterminer la manière dont les femmes vivent et dont la société les définit.» (Institut canadien de recherches sur les femmes : 2006)

Plusieurs développements dans la pensée féministe récente doivent d'ailleurs à ces intellectuelles qui ont grandi avec des identités multiples. Le concept d'hybridité – dont la troisième vague féministe est fortement imprégnée – a ainsi été développé par des femmes de couleur, l'Afro-américaine bell hooks entre autres, qui a dû concilier sexe et race dans ses analyses des rapports sociaux.

À l'instar de l'identité raciale, l'identité sexuelle a elle aussi été un moteur important de ce féminisme centré sur la diversité. Par leur expérience d'un monde à la fois hétérosexuel et dominé par les hommes, plusieurs auteures lesbiennes ont ainsi fait émerger une pensée originale qui prenait en compte divers niveaux d'oppression. La théorie queer, tel que définie par les Américaines Judith Butler et Eve Sedgwick, propose un schéma d'analyse qui ajoute l'orientation sexuelle, et son corollaire – l'hétéronormativité – comme un élément majeur de l'oppression des femmes, et des humains dans leur ensemble. L'écrivaine Monique Wittig, dont l'œuvre La Pensée straight est présenté dans la mouvance queer comme une référence capitale, avait déjà développé des théories allant dans ce sens, démontrant surtout en quoi l'hétérosexualité formait un dispositif politique.

En centrant leurs études sur la sexualité et la construction des genres, les théoriciennes queers ont cependant remis à l'avant-plan du débat féministe les préoccupations qui avaient passablement divisé le mouvement des femmes, surtout dans les années 1980 : pornographie, prostitution et transgenrisme. Mais au-delà de ces questions précises, c'est la sexualité au complet qui bénéficie, avec l'émergence de la troisième vague, d'une attention nouvelle et d'une image plus positive. Ce discours, qui se proclame sex-positive (en anglais) aux États-Unis, est porté en France surtout par les auteures Virginie Despentes, Marie-Hélène Bourcier et Beatriz Preciado.

Critiques du concept de troisième vague

Une des critiques les plus récurrentes adressées à la troisième vague fait ressortir le recul de ce sentiment d'appartenance qui avait uni les femmes autour d'une cause commune et d'une identité commune – l'identité "femme". La culture féministe des années 1960 et 70, en valorisant constamment l'unité des femmes et la fraternité entre elles – fraternité nommé couramment la "sororité" –, aurait génèré une réaction allant dans un sens opposé, avec comme résultat l'éclatement de l'identité "femme" en de multiples identités "hybrides" : femmes de couleurs, femmes lesbiennes, etc. Mais en se fragmentant dans une telle diversité – font valoir les détracteures de la troisième vague – le mouvement des femmes courait le risque de voir ses troupes se désunir et se diviser progressivement, ou alors se détourner de son objectif premier : l'émancipation des femmes.

Une critique identique est amenée par Kristin Rowe-Finkbeiner dans son ouvrage The F-Word, paru en 2004, où elle évoque l'absence d'une cause commune et rassembleuse dans le concept de troisième vague. Les militantes de la première vague féministe s'étaient ralliées autour de la bataille pour le droit de vote; celles de la seconde vague autour de l'obtention de l'égalité salariale et la fin de la discrimination basée sur le sexe. Quant aux féministes de la troisième vague, elles se disperseraient dans une grande variété de combats, fréquemment fragmentés et moins unitaires que ceux de leurs prédécesseures.

D'autre part, le découpage lui-même – en trois vagues bien différentes, avec chacune son époque et son idéologie propres – ne fait pas l'unanimité lui non plus. Son principal inconvénient, évoqué surtout dans un article publié en 2008 dans la revue Recherches féministes, est sa propension à montrer sous un angle uniforme et réducteur le mouvement des femmes dans chacune des vagues, à l'endroit où il prévaudrait plutôt des différences significatives. «Une typologie pensée en termes de vagues réduit, dévalorise et évacue la complexité mais aussi la diversité des idées qui parcourent l'histoire et l'actualité du mouvement féministe». A titre d'exemple, l'association automatique entre deuxième vague et féminisme radical – fréquemment suggérée par les penseures de la troisième vague – évacuerait plusieurs autres courants politiques qui ont eux aussi traversé la seconde vague, surtout le féminisme marxiste ou encore le lesbianisme radical.

Pour mélanger toujours plus les cartes – et révéler peut-être les limites théoriques du concept des vagues –, de «vieilles» féministes des années 1970 se reconnaitraient davantage dans les idées de la troisième vague, tandis que des féministes plus jeunes – appartenant aux générations X et Y – s'identifieraient plutôt au féminisme radical de la seconde vague. Ou encore, des militantes de ce dernier groupe d'âge se revendiqueraient à la fois féministes radicales et actrices de la troisième vague. Transgresser ainsi le découpage des vagues, sortir des catégories étanches, réclamer des appartenances multiples, il y a certes là un phénomène d'identification au féminisme qui défit les doctrines.

À moins que ce ne soit légèrement ça, finalement, l'esprit de la troisième vague?

Bibliographie

Volume 17, numéro 2, 2004.

- Arts et auteurs
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